À l’occasion de son exposition « Peinture : le dernier refuge », Ziyad El Mansouri dévoile un corpus d’œuvres saisissant, où la peinture, traversée de tensions intimes et de figures spectrales, devient un lieu de résistance intérieure. Par la torsion du trait, l’éclat des matières, la récurrence de symboles lunaires ou cosmologiques, le jeune artiste semble renouer avec une forme d’expressionnisme profondément contemporain, comme nécessité vitale face à la violence sourde du monde.
Peut-on parler d’expressionnisme sans s’enliser dans un anachronisme flagrant ? Le mot, lourd de tempêtes passées, semble trop vaste ou trop vieux pour désigner la peinture de Ziyad El Mansouri. Et pourtant, son pinceau nerveux, ses figures tordues, ses couleurs vives, tout en lui semble traversé par une fièvre semblable, mais d’un autre âge.
Il peint comme on saigne. Non par mimétisme, mais par nécessité. Il ne cite pas l’histoire : il l’habite. Ses œuvres rappellent la détresse de Munch, les hallucinations de Van Gogh, les tourments d’un Basquiat. Ses toiles semblent condenser les visions de Miró et les cauchemars de Bacon, mais transposées dans une autre chambre à la fois noire et lumineuse, celle d’un jeune homme enfermé dans son atelier de Tétouan, peignant contre le vacarme du monde.
Il ne fuit pas l’époque, il l’affronte. Armé de pastel et d’huile, il capte l’angoisse contemporaine : bruit sans repos, images sans fin, divertissement sans pensée. Ses créatures pâles, éreintées, sont nos doubles. Elles errent dans des paysages lunaires, des intérieurs d’insomnie. Et parfois, une lueur les traverse, un éclat céleste, une clarté d’une innocence obstinée, même timide, même vaporeuse vient comme un salut inattendu pour éclairer un chemin d’espoir.
Des êtres atemporels en retrait
La nuit règne dans son œuvre, non comme ténèbre mais comme refuge. Dans Whispers of Innocence, The Omniscient, Absent Sunlight, Opening, les astres veillent comme des lanternes folles, des constellations égarées, sur des silhouettes d’êtres atemporels. Lunes aux yeux humains, rêve diurne, sommeil salvateur : tout invite à un repli spirituel. Mais ces êtres aux yeux clos ne fuient pas, ils espèrent. Ils discourent en silence, qui devient réponse. Ils ne cèdent pas au monde bruissant de mille vanités numériques, de divertissements frivoles et de communications vides, comme si leur innocence première refusait encore de mourir tout à fait. Mais ne nous y trompons pas : ce retrait n’est pas démission, mais protestation. Si le peintre refuse d’être enserré dans la « discordance du monde moderne » comme le formulait Baudelaire, il est « être-au-monde » : viscéral, exalté, lucide, incandescent.
El Mansouri peint ce que le monde fait à l’homme quand il l’épuise. Son expressionnisme n’est pas esthétique, mais retour cyclique d’une vérité éternelle : quand les mots se brisent, la peinture reprend ses droits. De ses cieux lourds, traversés de constellations inédites, tombent des figures au cri silencieux, telles des âmes en exil. Ici la souffrance se fait vision, et le chaos moderne trouve son baume. Ce monde peint nous parle de notre soif inavouée de rêve et de retraite, de deuil nécessaire et de nuit apaisante, afin d’endurer, à l’aube, l’assaut strident de la vie.